Extrait d'un article d'Edmond Des Robert dans le Pays Lorrain A34 VOL 11 de 1953 intitulé : Bref rappel de 1’histoire du Musée historique lorrain. La première partie consacrée au début de la société redondante avec les précédents articles, n'a pas été retenue ici.
L'agrandissement du musée
Les locaux du Musée s'accrurent, en 1912, aux dépens de l'école; on lui concéda le rez-de-chaussée et le Ier étage et l'avant-corps latéral sud. Enfin, lorsque l'École supérieure de garçons émigra en 1932, le Musée put occuper l'ensemble du Palais ducal transformé et s'y installa en 1936-1937.
Au cours des cinquante dernières années, la Société d'archéologie historique lorraine et du Musée historique lorrain a eu une vie très remplie. L'ouverture en 1912 des salles nouvelles consacrées à la ville de Nancy, aux gloires militaires de la Lorraine et au folklore, les transformations du Musée de 1935 à 1937, scandent en quelque sorte cette période. Il n'est pas douteux que notre Musée a pris un grand développement; s'il a pu ainsi se transformer, c'est grâce aux efforts qui ont été faits par un grand nombre de chercheurs et d'érudits qui ont consacré leur activité à notre œuvre : membres du bureau de la Société, conservateurs et tous ceux qui leur ont apporté leur concours. Nous voudrions évoquer ici, en juste hommage, le souvenir de quelques-uns d'entre eux, après avoir rappelé brièvement quelle est l'organisation de la Société d'archéologie et du Musée lorrain.
En 1900, d'après les statuts en vigueur depuis 1872, la direction du Musée appartenait au Comité du Musée historique lorrain dont le préfet de Meurthe-et-Moselle et le maire de la ville de Nancy étaient président et vice-président nés. Son bureau était celui de la Société et dix-sept membres élus le complétaient. Un conservateur, parfois assisté d'un adjoint, tenait soigneusement le registre des entrées des objets acquis, donnés ou légués, assurait leur remise en état s'il y avait lieu, leur bonne présentation et leur entretien. Il réunissait les éléments pouvant servir à une nouvelle édition du catalogue ou du guide quand le besoin s'en ferait sentir.
En 1908, à la suite de la retraite de Lucien Wiéner, l'importance de nos collections nécessite le fractionnement de la conservation en sections. Elles furent d'abord au nombre de quatre.
I. Archéologie préhistorique, gallo-romaine et franque.
II. Monnaies et médailles.
III. Mobilier et objets d'art.
IV. Estampes et sceaux.
Elles sont maintenant au nombre de six, leur dénomination et leur répartition ayant subi des modifications.
I. Archéologie préhistorique, gallo-romaine et franque.
II. Mobilier, objets d'art.
III. Armes et souvenirs militaires.
IV. Art populaire et folklore.
V. Sigillographie et numismatique.
VI. Estampes et documentation.
En 1935, nos statuts durent adopter une rédaction conforme à la loi de 1901. Il en résulta que la Société d'archéologie lorraine et du Musée historique lorrain est administrée par un conseil composé de deux membres de droit, préfet de Meurthe-et-Moselle et maire de Nancy et de vingt-quatre membres élus à l'assemblée générale au scrutin secret pour trois ans avec renouvellement partiel chaque année. Le conseil d'administration désigne chaque année les membres qui formeront le bureau; mais comme il y a plusieurs conservateurs, c'est le président qui est administrateur du Musée. Pratiquement rien n'est changé.
Depuis un demi-siècle que de collaborateurs du Musée disparus ! Le premier dont fut déplorée la perte est Lucien Wiener (1828-1909), le dernier représentant des fondateurs de la Société ; Conservateur adjoint dès 1875, il assuma seul cette charge depuis 1890. Il rédigea deux éditions du Catalogue du Musée, celles de 1887 et de 1895. Nous voyons encore ce beau vieillard venant chaque jour au Palais ducal, y entrant par la porte Masco, gagnant la galerie des Cerfs, traversant la petite salle où se trouve maintenant l'orfèvrerie religieuse et pénétrant dans la minuscule pièce triangulaire, alors pompeusement décorée du nom de cabinet du conservateur. En raison de son grand âge, il prit sa retraite en 1908 : c'est à partir de ce moment que la conservation fut répartie en diverses sections. Affable et érudit, amateur éclairé, il avait, tout en dirigeant une maison réputée de reliure et de papeterie, réuni une collection d'objets d'art : cuirs décorés, ferronnerie, estampes, livres, statues, pièces rares du cérémonial judaïque.
Son fils, René Wiéner (1855-1939), trésorier de notre Société de 1883 à 1899, président de la Société des Amis du Musée lorrain à la mort du maréchal Lyautey en 1935, avait complété, enrichi les collections et la bibliothèque de son père et eut le beau geste de léguer le tout au Musée lorrain.
Lors de la division de la conservation en 1908, la section II (Monnaies et médailles) fut confiée à René Martz (1855-1921). Ce haut magistrat, qui fut premier président de la Cour d'appel, était amateur de beaux livres et possédait un important médailler, ce qui le qualifiait pleinement pour donner ses soins à celui du Musée. En 1913, il se chargea aussi de la Section I. Il laissa au Musée plusieurs pièces de ferronnerie.
Le Comte Jules Beaupré (1859-1923), spécialisé dans l'étude des époques préhistorique, gallo- romaine et franque, fut conservateur de la Section 1 lors de sa fondation en 1908 jusqu'à sa démission en 1913. Dès 1908, il avait fait don au Musée de ses collections, près de 1.300 pièces, toutes d'origine lorraine, bien déterminées et ramassées par lui au cours des innombrables fouilles faites pendant de longues années dont les comptes rendus sont rapportés dans nos publications.
Charles Sadoul (1872-1930) était d'une inlassable activité qu'il partagea entre Nancy, sa ville d'élection, et Raon-l'Étape, sa ville natale. Il rendit d'éminents services aux sciences historiques lorraines, d'abord en qualité de fondateur, de directeur et d'animateur du Pays lorrain et de la Revue lorraine illustrée, puis en rédigeant la Table alphabétique des publications de la Société d'archéologie lorraine de 1849 à 1930. Il avait aussi rédigé celle des Publications de la Société philomatique vosgienne, ainsi que du Pays lorrain. Passionné pour la recherche des traditions populaires et des vestiges de l'art rustique lorrain, puisant dans ses propres collections, il créa, de toutes pièces, la section V (Art populaire lorrain) dont il devint premier conservateur. Les débuts furent modestes, car il dut, au premier abord, utiliser une froide pièce du rez-de-chaussée, gagnée sur les locaux délaissés par l'École primaire supérieure en attendant l'évacuation totale. Il n'eut pas la joie de connaître l'extension du Musée dans cette partie du palais reconstruite après l'incendie de 1871, mais le meilleur hommage rendu à la mémoire d'un excellent collaborateur, d'un bon ami et d'un Lorrain particulièrement dynamique ? comme l'on dit maintenant ? fut l'attribution de son nom à la galerie de la Section d'art populaire lorrain, section remplissant, en raison de son développement magnifique la majeure partie du second et du troisième étages.
En 1908, la section du mobilier et des objets d'art fut remise à Georges Demeufve (1873- 1934). Très qualifié pour ce choix en raison de ses qualités d'artiste délicat et d'amateur d'art il s'ingénia à tirer le meilleur parti de la galerie des Cerfs, alors déjà bien encombrée, aux lourdes vitrines de chêne, teintées en noir. En 1911, quand, en gage de la future extension du Musée dans les bâtiments encore occupés par l'École primaire supérieure, deux pièces distraites du premier étage de cette école furent affectées au Musée, il eut la satisfaction d'y aménager deux salles, l'une réservée aux gloires militaires de la Révolution et de l'Empire, l'autre consacrée à l'histoire de la ville de Nancy, en même temps, il installait la ferronnerie dans la petite pièce prenant jour sur la place Saint-Epvre. Georges Demeufve avait une compétence toute particulière en ce qui touchait les armes anciennes, les étains et la céramique. En 1932, il entreprit dans le Pays lorrain, la publication d'articles sur la Céramique dans la région lorraine. Sa mort en interrompit la suite. L'art rustique lorrain retenait également son attention aussi, au décès de Charles Sadoul, assuma-t-il la conservation de la section créée par ce dernier. S'il eut la joie d'entrevoir l'extension du Musée, s'il en étudiait les plans d'agrandissement jusque sur son lit de douleur, il ne lui fut pas donné celle de contempler la réalisation d'un projet longtemps qualifié de chimérique ni d'y collaborer effectivement car il s'éteignit le 8 juin 1934. La salle XXII, la céramique lorraine, en mémoire de lui, porte son nom.
Paul Laprevotte (1890-1948) amateur de céramique, principalement de Niederviller, et possesseur d'un riche médailler, recueillit, à la mort de R. Martz, la conservation des sections alors numérotées 1 et II. Puis en 1928 il ne conserva plus que celle de sigillographie et numismatique devenue section V. Il légua au Musée d'intéressantes pièces de ses collections, aussi son nom figure-t-il sur la plaque dédiée aux membres bienfaiteurs.
A part les conservateurs, il convient d'évoquer ceux qui prirent une part active à l'administration de la Société, à ses travaux, non seulement à ses séances, mais à ses réunions, désignées familièrement au Palais ducal sous le nom de « parlote », utiles causeries hebdomadaires, qui eurent le grand mérite d'assurer une liaison constante, une cohésion parfaite et une bonne camaraderie entre le comité, le bureau, les conservateurs et les membres les plus zélés de la Société, aussi ses anciens fidèles les ont-ils rénovées. Autrefois, ces réunions amicales se tenaient le dimanche matin de dix heures à midi, dans la salle haute de la Tour de l'Horloge qui abrite, depuis 1875, une partie de la bibliothèque, un petit escalier en vis y donne accès à partir de la galerie des Cerfs, à droite en entrant. Bien entendu, les conservateurs dont les noms viennent d'être cités les fréquentaient, mais aussi la plupart des membres du Comité du Musée, les animateurs de notre société :
Raymond des Godins de Souhesmes (1850- 1902), vice-président, brillant conteur, artiste et héraldiste qui légua divers souvenirs au Musée.
Le commandant Larguillon (1820-1905), spécialiste dans l'art de l'armurerie ancienne, collectionneur qui légua plus de 200 pièces au Musée.
Léopold Quintard (1843-1908), président de 1899 à 1908, numismate, qui égayait par sa bonne humeur les excursions qu'il organisait avec son ami.
Henri Lefebvre (1843-1908), auteur de mémoires appréciés sur Manonville et Pierrefort, un des plus assidus aux causeries hebdomadaires.
Pierre de Lallemand de Mont (1847-1922), vice-président de 1902 à 1907, fidèle à nos réunions du dimanche.
Léon Germain de Maidy (1853-1927), secrétaire perpétuel depuis 1892, qui, par un travail assidu, devint un des érudits les plus féconds de son époque. Sa bibliographie compte plus d'un millier de numéros. La salle III (sculptures des XVE et xvie siècles) a reçu son nom.
Justin Favier (1848-1928), conservateur honoraire de la Bibliothèque publique de Nancy, vice-président de 1908 à 1926, grand spécialiste de la bibliographie lorraine.
Robert Parisot (1860-1930), élève de Christian Pfister, titulaire de la chaire d'histoire de l'Est à la Faculté des lettres de Nancy, l'historien réputé de la Haute Lorraine et de la Lorraine tout court.
Charles Guyot (1845-1930), président de 1888 à 1898, puis président honoraire qui, après une brillante carrière dans l'administration des Eaux et Forêts, devint en 1895 directeur de l'École nationale, dite communément École forestière. C'était un juriste et un spécialiste de la vie rurale. La salle IV (sculptures du XVIE siècle,) porte son nom.
Le commandant Thouvenin (1854-1932), trésorier de 1913 à 1929, puis trésorier honoraire.
Marcel Maure (1859-1941), secrétaire adjoint de 1902 à son décès, donc pendant 40 ans. Lettré et érudit, d'un commerce très agréable, qui fut un des assistants les plus assidus des causeries dominicales.
Émile Duvernoy (1861-1942), digne successeur en 1888 d'Henri Lepage, à la tête du riche dépôt des archives départementales de Meurthe-et- Moselle, qu'il dirigea pendant près de quarante ans. D'une obligeance parfaite dont bénéficiaient tous ceux qui se livraient à des recherches, il contribua grandement à l'histoire de la Lorraine, tant par des répertoires, imprimés ou manuscrits, vrais travaux de bénédictin que par ses nombreuses et savantes publications. En 1926, il avait succédé à Léon Germain de Maidy dans les fonctions de secrétaire perpétuel.
Pierre Boyé (1869-1945), esprit fort cultivé, écrivain réputé, historien du roi Stanislas et des divers aspects de son règne, qui fut successivement secrétaire, vice-président, puis président de 1908 à sa démission pour raison de santé, en 1925 et président honoraire. Entre autres charges, il remplit avec tact et distinction celle de secrétaire perpétuel de l'Académie de Stanislas. A son décès, en faible marque de reconnaissance pour sa sage administration et les éminents services rendus par lui, son nom fut affecté à la galerie consacrée à la Lorraine du XVIIe siècle.
Paul Chenut (1871-1947), amateur très averti de livres et de gravures, ne manquait jamais - en dehors de la période de la chasse - nos réunions familières du dimanche matin. Il remplit un moment les fonctions de bibliothécaire. Il eut le beau geste de léguer au Musée lorrain la collection unique réunie par Meaume, et considérablement enrichie par lui, des œuvres de Sébastien Leclerc, le fameux graveur messin.
L'abbé Eugène Martin (1859-1948), qui fut une figure marquante du clergé lorrain docteur ès lettres, professeur d'histoire, directeur pendant quarante ans de la Semaine religieuse, doyen du chapitre cathédral, honoré de la prélature en 1939, secrétaire perpétuel de l'Académie de Stanislas, il est l'auteur de nombreux travaux d'archéologie sacrée et d'histoire. Son principal ouvrage est l'Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié.
Paul Delaval (1879-1950), trésorier de la Société et du Musée de 1929 à son décès. Comptant au nombre de ses ascendants le Grand Juge Régnier, duc de Massa, il s'intéressait particulièrement à l'époque du Ier Empire.
Assistait aussi à ces réunions du dimanche, M. Lapointe, agent comptable et commis de la bibliothèque de la Société pendant plus de trente ans. Il mourut le 20 décembre 1928. La Société lui doit toute sa reconnaissance pour ses bons et loyaux services.
Dans un espace forcément restreint, nous avons rendu un juste hommage à l'action exercée au bénéfice du Musée par les principaux de nos collègues disparus pendant ces cinquante dernières années. Notre belle œuvre collective, résultant des efforts accumulés en un siècle, continuera à trouver - le présent est gage de l'avenir - des animateurs compétents, dévoués et désintéressés semblables à ceux dont nous venons, avec émotion de rappeler le souvenir.
Edmond DES ROBERT,
Président honoraire de la Société d'archéologie lorraine.