Petite histoire de notre Société

Le récit fait ici est le regroupement de textes parut dans divers Pays Lorrain. Pour ne pas alourdir ces récit, nous nous sommes dispensés des (...) lors des coupes, mais le puriste pourra consulter les originaux sur Gallica. Les textes sont les transcriptions intégrales des articles et les idées exprimées n'engagent que leurs auteurs.

Pierre Marot - Le Pays Lorrain 1936 A28 Vol5

Les prémices jusqu'à la création

L'histoire du Musée lorrain est, si l'on veut, réconfortante. On lui donnerait volontiers comme sous-titre : comment le bon sens finit par triompher de l'ignorance ; mais elle est aussi attristante, car, pour vaincre la routine, la passivité, la sottise, on a dû faire preuve d'une obstination peu commune. Pourquoi faut-il que tant d'efforts aient été dépensés pour briser des résistances si foncièrement absurdes ? Pourquoi faut-il que des conceptions si clairement utiles n'aient point toujours été encouragées, soutenues ? Pourquoi, cédant aux convenances du moment, a-t-on usé parfois de tant d'atermoiements pour différer ce qui s'imposait? Pouvons-nous espérer que ce bref historique révélant les fautes du passé contribuera à éviter le retour de certaines erreurs au cas fort improbable où l'on serait tenté de les commettre? Il a été écrit tout simplement ad narrandum. Ce n'est pas notre faute si naturellement les faits s'enchaînent ad probandum. Nous l'avons dit, l'histoire est parfois une leçon.

La dispersion des ordres religieux, la suppression de l'Académie des Sciences et Belles-Lettres de Nancy, fondée par Stanislas, le vandalisme enfin, tout s'était réuni pour détourner les esprits de l'étude des temps révolus.

L'érudit Mory d'Elvange avait péri sur l'échafaud en 1794, arraché aux dernières recherches qu'il consacrait à l'histoire de la maison ducale ou aux derniers vestiges d'un passé qui semblait mort à jamais. Jean-Jacques Lionnois, le zélé historien de Nancy, s'éteignait, dans l'indigence, le 14 juin 1806. Les monuments historiques de l'ancienne capitale du duché qu'il avait décrits avec soin disparaissaient sous la pioche des vandales.

Les clochers innombrables qui hérissaient la silhouette de Nancy, tels que les charmants tableaux de Claudot nous en ont laissé le souvenir, tombaient les uns après les autres. Toutes les églises que le graveur Herpin fixait encore en 1791 de sa pointe élégante s'évanouissaient avec leurs tombeaux. Rien n'est plus lamentable que le laconique récit de la démolition de l'église des Minimes que nous a laissé Michel-Hubert Oudinot, l'éditeur de l'oeuvre de Lionnois : tous les monuments funéraires furent réduits en morceaux et les matériaux envoyés aux décombres! La rage des jacobins s'est acharnée sur l'église des Cordeliers, sur sa « chapelle ronde », tombeau des ducs de Lorraine. Les cercueils des princes ont été violés, leurs restes ont été jetés pêle-mêle dans la fosse commune du cimetière de Boudonville. Le sanctuaire des frères de saint François est devenu successivement une auberge, un entrepôt de marchand de charbons, une ambulance. On proposa même de faire passer une rue dans l'axe de sa nef! La pimpante église de Bon-Secours a failli périr, les sépultures de Stanislas et de Catherine Opalinska ont été profanées. Les bataillons de fédérés, de passage à Nancy en 1792, ont détruit dans une rage aveugle maintes oeuvres d'art et mutilé des monuments.

Néanmoins, on songe à sauver quelques souvenirs du passé. A l'hôtel de la Monnaie, un archiviste, ancien huissier de la Chambre des Comptes, François Eloy réussit à conserver à peu près intact le Trésor des chartes de Lorraine. On annexe à l'Ecole centrale un Museum, qui, installé dans la chapelle de la Visitation, reçoit les tableaux confisqués par la Nation, ceux du moins que les fédérés avaient respectés, et quelques œuvres d'art, trop rares, dont l'intérêt avait été reconnu.

Ce Museum sera le noyau du futur Musée municipal de peinture et de sculpture.

Après le Concordat, on restaure hâtivement l'église de Bon-Secours. L'église des Cordeliers devient une annexe de Saint-Epvre. Sous la pression de la maison d'Autriche, on commence en 1817 le rétablissement de la chapelle ronde, déjà souhaité en 1810 par le marguillier des paroisses, M. de Montureux-Ficquelmont, dans le compliment qu'il prononça à l'adresse de Marie-Louise, tandis qu'elle traversait Nancy pour rejoindre « son auguste époux ». On apporte sous les voûtes de l'église, qui devient ainsi une sorte de musée lapidaire, les tombeaux des membres de la famille de Lorraine, dispersés dans la province. L'administration encourage toutes les recherches historiques ou archéologiques sur les sépultures des princes lorrains, qui font l'objet d'une vaste enquête. En 1826, les cendres des descendants de Gérard d'Alsace que l'on a pu retrouver sont descendues dans le caveau ducal au cours d'une cérémonie où communient d'un même patriotisme tous les Lorrains fidèles. La Lorraine est cimentée à la France, mais elle elle ne renie pas son passé En 1831, on inaugure sur la place Royale la statue du roi Stanislas, érigée par souscription ouverte dans les départements lorrains; en 1840 des patriotes lorrains célèbrent le duc Léopold en plaçant dans la nef de l'église des Cordeliers un monument commémorant sa mémoire.

Une renaissance de la curiosité historique se précise. Ce sentiment trouvait un stimulant dans la mode. Le théâtre, le roman s'étaient emparés de l'histoire. Le Nancéien Guilbert de Pixerécourt, devenu à Paris le Corneille des boulevards, ne dédaigne point de mettre sur la scène un des grands événements de l'histoire de son pays, la bataille de Nancy. Les imitateurs de Walter Scott ont toutes les faveurs et les journaux, tel le Littérateur lorrain, fourmillent de nouvelles historiques.

Le grand public prend goût au passé à mesure que le romantisme progresse : nos auteurs le leur présentent à leur façon sans doute, ce qui chagrine fort les érudits qui se consacrent à la recherche des documents : l'un d'eux, Noël, qui, pour dire le vrai, n'était point, lui-même, sans reproche, s'emporte contre les fantaisies de « l'histoire romancée ». Les érudits devenaient, en effet, plus nombreux. L'Académie de Nancy s'était reconstituée en 1802; elle avait retrouvé certains de ses anciens membres épris du passé, Jean-François Coster, Jean-Baptiste Lamoureux, auxquels vinrent se joindre des curieux, voire des savants, comme le comte de Villeneuve- Trans; elle entendit, publia même leurs communications historiques.

Le gouvernement, cédant aux instances de l'Académie des Inscriptions, devait d'ailleurs encourager les recherches archéologiques. C'est sous son impulsion que, par arrêté du 3 septembre r89, le préfet constitue dans le département de la Meurthe une Commission d'antiquités. Ce Comité, souvent présidé par les préfets qui, comme le marquis de Villeneuve ou le comte d'Allonville, participent parfois effectivement à ses travaux, répond aux instructions du ministère de l'Instruction publique. Les Haldat, Lamoureux et autres archéologues, les architectes Grillot et Chatelain se mettent à la recherche des antiquités : les ruines de Scarponne, les trouvailles de Norroy, le tombeau de Philippe de Gueldres retiennent longuement leur attention.

La commission réunit des sculptures antiques, des inscriptions et un embryon de Musée se constitue dans un réduit de la Bibliothèque publique, sous l'escalier de l'Hôtel de Ville et la galerie intérieure du palais du Gouvernement.

La commission des antiquités ne poursuivit pas longtemps ses recherches : elle fut dissoute le 1er septembre 1824 et ses archives réunies à celles de l'Académie.

Un arrêté du 29 décembre 1829 la reconstitua. L'ardeur de la renaissance fut brève; à partir de 1830, son zèle déclina, quoique certains de ses membres, comme Soyer-Willemet, Guerrier de Dumast, Monnier, Guibal, Beaupré eussent un goût très vif pour l'archéologie et l'histoire.

D'ailleurs, l'Académie qui comptait parmi ses membres ou ses associés correspondants presque tous ces curieux, faisait la part de plus en plus large du passé.

Augustin Digot, le futur historien de la Lorraine, y donne alors des biographies soignées de Lorrains illustres, qui préludent à ses grands travaux.

Au reste, l'étude de l'histoire et des monuments s'échappait des cénacles. Cayon, par exemple, en marge de l'Académie, publie des ouvrages médiocres sans doute, mais très lus sur la Lorraine, Nancy, Saint-Nicolas-de-Port, les vieilles chroniques, que le public va acheter chez son père, libraire avaricieux. Le préfet de la Meurthe, Arnaud, patronne la Statistique de son département, que Henri Lepage compile avec zèle, en dénombrant les curiosités de la région et en contant l'histoire des communes puisée aux documents d'archives. L'oeuvre de Lepage lui vaut d'être nommé archiviste de la Meurthe : en 1846 il inaugure une carrière qui sera des mieux remplies.

Cette renaissance de l'érudition s'étend à toute la Lorraine : Metz avec son académie, l'Austrasie et une phalange d'érudits : Bégin, Huguenin, Saulcy; Épinal dont la commission d'antiquités, continuée en 1825 par la Société d'Émulation des Vosges, fait des fouilles fructueuses; Bar-le-Duc où Servais commence, dans les greniers poudreux de la Préfecture, à explorer les riches archives de l'ancienne Chambre des Comptes du duché de Bar.

Si tous ces « érudits » ne travaillaient pas avec une méthode également recommandable, du moins faisaient-ils preuve du même cœur, du même acharnement pour découvrir le passé ou conserver ses restes. Appartenant à la bourgeoisie de la province, « rentiers », médecins, magistrats, avocats, fonctionnaires, architectes, professeurs, bibliothécaires ou archivistes, ils étaient l'expression de cette société cultivée à la mode du XVIIIe siècle, doctrinaire, férue de ses devoirs, obstinée, étriquée parfois, attachée au sol avant tout, qui donnait le ton à nos villes et en constituait l'armature.

De solides humanités fortifiées par un droit sens avaient permis à plusieurs d'entre eux d'acquérir les connaissances nécessaires pour déchiffrer les documents, conduire ou exploiter des fouilles avec fruit. D'aucuns étaient ce que l'on appelle communément des originaux, des savants en us, dont la redingote bizarrement coupée et le haut de forme genre tromblon amusaient leurs contemporains. Ils retrouvèrent, souvent par leurs propres moyens, la méthode des bénédictins, des Dom Calmet et de leurs disciples. Peut-être profitèrent-ils des travaux de la nouvelle école d'érudits qui commençait à s'affirmer. Les oeuvres d'Augustin Thierry eurent une profonde influence en province, et on peut la déceler à Nancy. Les instructions du Comité des travaux historiques que Guizot venait de créer, la Société de l'histoire de France, la Société française pour la conservation des monuments historiques d'Arcisse de Caumont et ses fameux congrès scientifiques contribuèrent à ce renouveau.

C'est dans ce milieu que germa sous la Restauration, et s'affirma sous le gouvernement de Juillet, l'idée de la création du Musée historique lorrain dans le palais des ducs de Lorraine.

Pierre Marot - Le Pays Lorrain 1936 A28 Vol5

Les débuts de notre Société nous sont connus par le discours de réception de Jules Renauld à l'Académie de Stanislas. Le récit qui est fait ici est extrait des mémoires de cette institution (11 mai 1876, Gallica 1875 - A126,SER4,T8).  Les articles jusqu'à la reconstruction sont la suite du même discours.

La création de la société

C'est à M. Guizot que revient l'honneur d'avoir donné l'élan aux études historiques, d'avoir sauvé et mis en lumière les monuments oubliés de notre histoire nationale.  La Société royale des sciences, lettres et arts de Nancy fit parvenir au ministre de l'instruction publique une adresse dans laquelle elle se déclarait prête à publier un grand travail d'ensemble sur l'histoire générale de la Lorraine.

Le plan devait se diviser en trois parties comprenant 1° l'histoire physique de notre province; 2° son histoire politique; 3° enfin les sciences, lettres et arts embrassaient la dernière section du programme. Une oeuvre aussi importante représentait un travail collectif de plus de vingt volumes, et la Société, dans l'espoir d'obtenir pour sa publication le concours de l'État, avait délégué ses deux secrétaires, M. de Haldat, correspondant de l'Institut, et M. Schutz, correspondant du ministère de l'instruction publique, pour entrer en rapports directs avec le ministre et lui fournir les détails et éclaircissements nécessaires. Survint la révolution de 1848 les allocations promises ne purent être votées et il fallut ajourner l'exécution du programme conçu l'année précédente. Néanmoins l'impulsion était donnée. Chaudement prêchée, la croisade scientifique comptait déjà de nombreux partisans, et, dans un moment où l'agitation des esprits ne semblait guère leur laisser le calme nécessaire à de pacifiques études, deux jeunes gens, reprenant sous une forme nouvelle et indépendante le projet de l'Académie, résolurent de créer à Nancy une société destinée à s'occuper d'archéologie et d'histoire, avec mission de fonder en outre un musée spécial de nos objets d'art et monuments lorrains.

Si l'honneur d'avoir conçu l'idée d'une société archéologique revient à MM. Miller-Thiry, et l'abbé Balthazard, c'est à l'Académie qu'il était réservé de leur ménager les auxiliaires les plus capables de seconder leurs efforts. Sur la liste des fondateurs, on lit en effet les noms de MM. Châtelain, Justin Bonnaire, l'abbé Guillaume, Aug. Digot, Henri Lepage, l'abbé Marchai, Beaupré, l'abbé Delalle, Alex. Gény, Piroux, Mélin, et à la tête de tous ces honorables confrères, votre président, M. le baron Guerrier de Dumast.

La Société fut approuvée par arrêté préfectoral du 28 octobre 1848; elle comptait 95 membres. Dès le mois de février 1849, M. le maire de Nancy l'autorisa à tenir ses séances mensuelles dans la salle de lecture de la bibliothèque de l'université, où se réunissait l'Académie avant son installation actuelle.

Les collections et l'origine du Musée

J'arrive à la création du musée et à la restauration du Palais ducal.

Que d'efforts persévérants n'a-t-il pas fallu pour doter la ville de Nancy, je devrais dire les départements lorrains, d'une galerie et d'une collection dignes d'être proposés pour modèles à tous ceux qui tenteraient de faire revivre les monuments d'histoire locale !

Pour remonter à l'origine des faits, et rendre à chacun la justice qui lui est due, je rappellerai que la commission des antiquités du département de la Meurthe, après avoir signalé au ministre de l'intérieur la nécessité de créer un MUSÉE LORRAIN, avait, par délibération du 7 janvier 1841, chargé MM. de Dumast, Grillot et Laurent, de rechercher les moyens de former ce musée. Par suite de leurs démarches, la Société des monuments français signa, le 4 octobre 1842, pendant le congrès scientifique tenu à Strasbourg, une précieuse adhésion, rédigée par le promoteur du congrès, M. de Caumont, l'un de vos regrettés correspondants.

La presse, de son côté, se fit l'organe des vœux formulés à Nancy, et dans un article publié le 9 novembre 1842 par l'Artiste, M. Thomassy, ancien élève de l'École des Chartes, vantait l'originalité, les règles particulières et la physionomie exceptionnelle de l'art et des monuments lorrains. Mais pendant que la ville intéressée sommeille, un de ses enfants les plus dévoués multiplie ses efforts pour populariser l'idée qu'il a réussi à faire accueillir à Strasbourg et à Paris; il publie ces rapports de MM. de Caumont et Thomassy, il en fait un chapitre spécial, illustré par notre concitoyen Thorelle dans ce magnifique ouvrage Nancy, histoire et tableau, que l'auteur avait écrit avec une verve toute juvénile et passionnée, comme une noble déclaration d'amour en l'honneur de la cité natale.

Toutefois, certains obstacles regardés comme insurmontables retardèrent pour longtemps la réalisation des projets, et l'idée conçue en 1841 ne put recevoir un commencement d'exécution qu'au mois de septembre 1848. Nous avons dit comment deux jeunes Lorrains organisèrent la Société d'archéologie. Les dons et les objets d'art destinés à former les premiers éléments d'un musée spécial affluèrent en même temps que les travaux historiques.

M. le préfet de la Meurthe, par lettres du 7 juillet 1849, accorda deux salles en l'Hôtel de la Monnaie à titre de musée provisoire pour y recueillir les objets déjà offerts à la société.

Les publications de la Société

Les travaux affluèrent et avant la fin de l'année se complétait le premier volume des bulletins.

Dès leur apparition, ces études furent appréciées au point que presque toutes les sociétés savantes de l'époque demandèrent à entrer en relation avec la société naissante, et, ce qui ne s'était pas encore vu pour des écrits de ce genre, on dut se décider à en faire imprimer une seconde édition.

En 1850, les nouveaux bulletins, riches des recherches de MM. Digot, Lepage et l'abbé Guillaume, constatent que le nombre des sociétaires s'élève à trois cents membres.

Dans le cours de la troisième année, les mémoires présentés deviennent tellement nombreux, que les bulletins annuels ne peuvent suffire à leur publication. C'est alors qu'on prit la résolution de créer, outre le volume principal, un cahier mensuel sous le titre deJournal de Société d'archéologie.

En même temps, la société tenait à encourager ceux qui se vouent aux travaux historiques et à ce point de vue, le stimulant le plus fécond en résultats utiles, c'est la reproduction de certains ouvrages d'une grande rareté, et surtout la mise au jour de documents jusqu'alors ignorés.

C'est dans ce double dessein de conserver et de propager les monuments historiques qu'une commission, choisie parmi les membres les plus éclairés de l'association, fut chargée de la réimpression des documents, et dès l'année 1855 parut le premier volume comprenant le manuscrit de Riguet, grand-prévôt de Saint-Dié, sur la généalogie des ducs de la maison de Lorraine.

Ainsi, cinq années après sa naissance, la jeune Société menait de front trois séries de publications importantes

  1. Les bulletins annuels, consacrés aux dissertations et mémoires sortis de la plume des associés. Cette première division comprend aujourd'hui vingt-cinq volumes in-8", tous accompagnés de planches.
  2. Le journal mensuel, ouvrant ses colonnes aux écrits isolés tels que des lettres, des titres de famille ou de fondation, à ces nombreuses pièces qui, sans avoir un intérêt majeur pour l'histoire générale, peuvent révéler un détail curieux sur les hommes et les événements. Vingt-quatre volumes composent cette seconde série de nos ouvrages.
  3. Enfin, de 1855 à 1870 il a été publié quinze tomes de documents originaux ou réimpressions des éditions de livres rares ou curieux relatifs à la Lorraine.

L'étendue et la valeur réelle de ces travaux collectifs est aujourd'hui reconnue. Recherchées et devenues très-rares, ces publications atteignent des prix élevés quand elles se présentent dans des ventes publiques, et il est très-difficile de s'en procurer les collections.

Le Palais ducal

Émues des désirs qui se manifestaient, l'administration municipale de Nancy et l'administration départementale s'y associèrent avec une extrême bienveillance ; le gouvernement par l'organe de deux ministres de l'instruction publique, exprimait ses sympathies pour une pensée qu'il regardait comme généreuse, élevée, n’intéressant pas seulement une ville ou même trois départements, mais digne par sa grandeur, de la majesté de la France.

A la suite de cette démonstration, un arrêté du 30 mars 1850 instituait le Comité du musée historique lorrain, et, afin de donner à ce dernier un caractère presque officiel prescrivait que le préfet de la Meurthe et le maire de Nancy y occuperaient de droit les premiers rangs.

A partir de ce moment, tandis que la Société d'archéologie poursuivait énergiquement sa tâche, faisant des recrues, publiant ses travaux, le comité émané de son sein, exécuteur de ses inspirations, se dévouait à la mission délicate qu'il avait acceptée.

Le Palais ducal, à cette époque, ne ressemblait guère à l'édifice que l'on admire aujourd'hui. Tout alors y était ruines, et si misérables qu'elles fussent, ces ruines étaient utilisées pour des services publics. Il y avait là trois possesseurs auxquels il fallait les disputer.

 Masqué par de lourds contreforts, l'élégant promenoir du rez-de-chaussée servait d'écuries; un réduit encombrait l'entrée de l'escalier qui conduit à la salle des Cerfs, et cette salle elle-même, coupée par des murailles, formait trois greniers dont le plus vaste n'avait pour plafond que les combles. Tel était l'état du palais où devait s'installer le futur musée.

Une circonstance heureuse vint imprimer à la générosité publique un élan qui dura des années. Le Congrès scientifique de France, qui tenait à Nancy sa 17e session, vint en corps assister à une cérémonie modeste mais significative. Le modèle de la statue du duc Antoine venait d'être posé au Palais ducal, dans la niche de la porterie. La vue extérieure de l'édifice inspira le désir d'en visiter l'intérieur et de constater l'état de cette ancienne résidence princière si déchue de son antique splendeur.

Ce fut à travers le fourrage et l'avoine que les membres du congrès parcoururent la galerie où siégèrent jadis les états de Lorraine. A l'aspect de désolation de la salle, un de nos compatriotes, l'honorable M. de Vatry, ancien député de la Meurthe, éleva la voix pour provoquer une souscription en faveur de la restauration de la galerie des Cerfs et du palais tout entier. Une liste se couvrit de signatures comme par enchantement et produisit la somme de 11,000 fr. Ce fut à l'aide de ce trésor inespéré que le Comité osa tenter de nouveaux efforts. Il s'agissait d'entreprendre une conquête qui demanda près de huit années : celles des locaux destinés au musée. C'était une ville entière à enlever d'assaut, rue par rue, maison par maison.

Ce fut le vestibule d'abord, dont il fallut chèrement acheter une partie. Ce fut ensuite une portion, puis une autre, puis une troisième de la galerie voisine, et là s'arrêta pour un temps la conquête. La salle des Cerfs, objet des convoitises du Comité, semblait une citadelle imprenable, car pour y arriver il fallait posséder la cour et s'ouvrir un passage dans la-galerie du rez-de-chaussée.

 Enfin, au mois de septembre 1857, après plusieurs années de négociations, de démarches et de peines, aux prix des plus lourds sacrifices, le Comité devint maître de la partie principale du palais comprenant la galerie du premier étage. Toutefois, la place prise, restait à l'utiliser, et la salle des Cerfs, prix de la dernière victoire, se présentait dans son effrayante nudité. Là tout était à faire, depuis le sol jusqu'à la voûte. Aussi devait-il encore s'écouler près de cinq années avant que l'installation fût complète.

L'inauguration

En 1862, Nancy avait été choisie pour l'exposition et les réunions du Concours régional de l'est de la France. On ne pouvait saisir une plus magnifique occasion pour l'inauguration du Musée lorrain. Dans la séance du 20 mai, la salle des Cerfs, trop petite malgré ses vastes proportions, recevait une foule considérable, et beaucoup d'invités durent se borner à circuler dans les galeries inférieures. Les murs étaient complétement garnis de tableaux; la tente de Charles-le-Téméraire en décorait la majeure partie, occupant enfin sa place naturelle dans ces lieux qu'elle ornait autrefois pour les grandes solennités.

C'est alors que M. Henri Lepage président du Comité répondant à une éloquente improvisation du préfet de la Meurthe, présenta, dans un discours chaleureusement applaudi, l'historique de la restauration du palais. Après avoir payé un juste tribut de reconnaissance à tous ceux dont le concours et les offrandes ont permis de fonder l’œuvre et de la développer, l'orateur, comme au soir d'une bataille le soldat victorieux, cède à un légitime sentiment d'orgueil et de joie; s'il n'y a pas eu de sang versé, il a été livré un combat qui a duré des années entières; s'il n'y a pas eu de périls à vaincre, il y a eu de longues et pénibles luttes à soutenir, et à défaut du courage qui fait braver la mort, il a fallu déployer cette patience que rien ne lasse, cette persévérance opiniâtre qui triomphe de tous les obstacles.

Avec quelle verve et quel bonheur d'expression M. Lepage aime à raconter les phases de la patriotique entreprise et le dévouement des collègues qui l'ont secondé ! Comme il sait avec délicatesse louer le maréchal Canrobert dont l'intervention avait été si puissante auprès du Gouvernement, pour imprimer aux travaux une efficace impulsion. En rappelant que la Cour impériale avait récemment fait au musée la remise de la tente de Charles-le-Téméraire, il est heureux de lui renouveler les remerciements du Comité pour cette délibération par laquelle la Cour a consenti à se dessaisir du précieux dépôt : « Intelligente aux jours d'une conservation indispensable, généreuse à l'heure où l'abandon devenait opportun, la Cour, dit-il, a su comprendre les nécessités de deux époques différentes ; elle a mérité par là une double gloire ».

M. de Dumast, secrétaire perpétuel de la Société, couronna la partie littéraire de la séance par un récit poétique des particularités de la galerie inaugurée. Écrit dans ce style entraînant propre à notre honorable doyen ce morceau plus d'une fois provoqua de vifs applaudissements, surtout quand il rappela la généreuse hospitalité de la mort donnée par René II au vaincu de Nancy.

Cette solennité devait faire époque dans les annales de l'œuvre lorraine. Dès lors, notre ville était dotée d'un monument de plus, digne de piquer la curiosité et l'intérêt des visiteurs étrangers, monument dont elle pourrait bientôt s'enorgueillir dans plus d'une occasion.

L'empereur d'Autriche, se rendant à l'Exposition universelle de 1867, s'arrêta à Nancy le 22 octobre et visita ce palais qu'habitèrent ses ancêtres, et une inscription spéciale, destinée à perpétuer ce souvenir, constatait en même temps, comme le dit excellemment le président du Comité en recevant François-Joseph et sa suite, « que les descendants des Lorrains, dévoués de cœur à leur nouvelle patrie, ont conservé, pour la mémoire de leurs princes, le plus respectueux attachement. »

L'incendie de 1871

A ces fêtes, à ces jours d'allégresse, succédèrent de douloureux événements, dont le musée subit la cruelle atteinte. Après la guerre désastreuse de 1870, après le traité de 1871, Nancy, soumis au joug de l'occupation, devait longtemps encore rester le gage de la rançon stipulée pour prix de la paix. Pendant la fatale nuit du 17 au 18 juillet 1871, se manifeste dans l'étage supérieur de la caserne de gendarmerie un effroyable incendie dont la cause est restée un mystère. Maîtresses de la place, les autorités allemandes avaient interdit de la manière la plus absolue tout usage du tocsin, tout signal d'alarme. Privés des secours des pompiers et de leur matériel de sauvetage, les habitants du quartier font des efforts impuissants pour conjurer le fléau. L'abbé Guillaume, au risque de se faire emprisonner, agite la cloche de la chapelle Ducale mais déjà le feu a gagné les combles du musée et en quelques instants l'œuvre de ruine et de dévastation est consommée.

Permettez-moi de rappeler ici les termes mêmes dont se servait M. Lepage pour annoncer la terrible nouvelle dans le Journal d'archéologie. Rien ne saurait mieux peindre la douleur et le courage de notre cher président. Comme tous, il est cruellement frappé, mais loin de se laisser abattre, il veut ranimer l'activité de ses collègues.

« Un malheur affreux nous a frappés le Musée lorrain n'existe plus, la galerie des Cerfs est en ruines! Moins d'une heure a suffi aux flammes pour dévorer le fruit de tant de luttes, de peines, d'efforts persévérants. L'œuvre de plus de vingt années est à peu près complètement détruite !

Nous n'avons pas le courage d'énumérer nos pertes, elles sont immenses elles sont surtout irréparables, des trésors ne les feraient pas recouvrer.

Si épouvantable que soit ce désastre, doit-il nous faire renoncer à l'entreprise patriotique que le Comité, de concert avec la Société d'archéologie lorraine, a poursuivie jusqu'à ce jour avec une si infatigable énergie ? Non, nous saurons puiser des forces dans notre infortune même. Nos concitoyens, près desquels nous avons constamment trouvé un concours sympathique, ne refuseront pas de nous venir en aide ; les administrations publiques nous prêteront leur appui. »

La reconstruction

Personne ne reste sourd à cet appel. Le premier, M. de Montesquiou, l'honorable préfet de Meurthe-et-Moselle, en face du coup terrible qui frappe une institution justement populaire, « revendique son poste comme président d'honneur du Comité, et il provoque, dans son hôtel même, une réunion d'urgence pour aviser et chercher les moyens de réparer, s'il est possible, les pertes qui nous sont infligées »

Le conseil municipal, en dépit des charges énormes qui grèvent le budget de la ville, vote en faveur du musée une nouvelle allocation de 1,000 fr. Des souscriptions s'ouvrent, et chacun tient à cœur d'apporter sa pierre à la réédification d'un monument vraiment national. Le gouvernement, malgré des difficultés financières sans précédent, surmontées depuis, on sait avec quel succès, accorde des crédits pour la reconstruction. Enfin, le souverain de nations amies de la France, S. M. l'Empereur d'Autriche, roi de Hongrie et de Bohême, envoya une somme de 100,000 fr. qui fut noblement versée en or dans la caisse de la Société archéologique.

Avec de tels auxiliaires, l'œuvre fut bientôt remise en bonne voie. On comprit qu'il fallait encore beaucoup faire pour lui venir en aide, et que Nancy devait conserver sinon tout ce qui restait de l'ancien palais ducal, du moins tout ce qui était nécessaire pour reconstituer un musée digne du passé de la Lorraine. Du reste, si le désastre avait été immense, si certaines pertes sont irréparables, heureusement tout n'avait pas été consumé par les flammes. On avait pu sauver les belles tapisseries de la tente de Charles-le-Téméraire, la cheminée monumentale de Joinville, les statues d'un sire de Beauvau et de sa femme par Ligier-Richier, à peu près la moitié des tableaux, beaucoup de menus objets précieux, toutes les inscriptions et tous les monuments de pierre, bronze, etc., qui remplissaient le rez-de-chaussée. Quant à la bibliothèque lorraine, elle avait été entièrement détruite, mais l'honorable abbé Marchal abandonna, moyennant des conditions avantageuses pour le Comité, la collection beaucoup plus riche à la composition de laquelle il avait consacré sa vie et ses épargnes.

M. de Montesquiou offrit une riche cheminée de la renaissance, découverte à Saint-Nicolas et destinée à remplacer celle de Pulligny qui avait été détruite. M. Frédéric Sellières adressa au musée six tableaux de grand prix, provenant de l'ancien château de Senones.

Au nombre des généreuses offrandes qui servirent à atténuer nos pertes, il faut signaler après les armures de M. de Rutant, le précieux manuscrit et les miniatures du poème de la Nancéide de Pierre de Blaru, chef d'œuvre dont M. le baron de Landres, malgré des souvenirs de famille, consentit à se séparer, pour en faire un des plus rares joyaux du musée.

Enfin, le Comité obtint un meuble important réclamé depuis plusieurs années. C'était le lit du duc Antoine, œuvre d'art, souvenir historique dont la légende avait été popularisée dans le brillant Tableau de Nancy.

Au mois de juillet 1875 les travaux de réfection, dirigés par M. Boeswiliwald, avec le concours de M. Cuny, touchèrent enfin à leur terme impatiemment inattendu. Dans la galerie des Cerfs, ornée comme autrefois, le congrès des Américanistes put recevoir une mémorable hospitalité, et inaugurer à Nancy ses sessions internationales.

Le secret de cette renaissance de notre monument, de ce musée créé deux fois, c'est que la Société d'archéologie ne s'était pas bornée à parler au nom de la science, c'est qu'au lieu d’être restée purement académique, elle s'est adressée à l'opinion, et a été écoutée et suivie par elle. Mettant la science au service du bien publie, elle a compris et fait comprendre que se vouer a l'archéologie nationale est une des manières d'honorer son pays et de lui prouver son amour. Telle est la cause de son influence ; voilà pourquoi, comme les autres sociétés départementales, elle a pris place parmi les institutions les plus vivantes de notre temps !

Extrait d'un article d'Edmond Des Robert dans le Pays Lorrain A34 VOL 11 de 1953 intitulé : Bref rappel de 1’histoire du Musée historique lorrain. La première partie consacrée au début de la société redondante avec les précédents articles, n'a pas été retenue ici.

L'agrandissement du musée

Les locaux du Musée s'accrurent, en 1912, aux dépens de l'école; on lui concéda le rez-de-chaussée et le Ier étage et l'avant-corps latéral sud. Enfin, lorsque l'École supérieure de garçons émigra en 1932, le Musée put occuper l'ensemble du Palais ducal transformé et s'y installa en 1936-1937.

Au cours des cinquante dernières années, la Société d'archéologie historique lorraine et du Musée historique lorrain a eu une vie très remplie. L'ouverture en 1912 des salles nouvelles consacrées à la ville de Nancy, aux gloires militaires de la Lorraine et au folklore, les transformations du Musée de 1935 à 1937, scandent en quelque sorte cette période. Il n'est pas douteux que notre Musée a pris un grand développement; s'il a pu ainsi se transformer, c'est grâce aux efforts qui ont été faits par un grand nombre de chercheurs et d'érudits qui ont consacré leur activité à notre œuvre : membres du bureau de la Société, conservateurs et tous ceux qui leur ont apporté leur concours. Nous voudrions évoquer ici, en juste hommage, le souvenir de quelques-uns d'entre eux, après avoir rappelé brièvement quelle est l'organisation de la Société d'archéologie et du Musée lorrain.

En 1900, d'après les statuts en vigueur depuis 1872, la direction du Musée appartenait au Comité du Musée historique lorrain dont le préfet de Meurthe-et-Moselle et le maire de la ville de Nancy étaient président et vice-président nés. Son bureau était celui de la Société et dix-sept membres élus le complétaient. Un conservateur, parfois assisté d'un adjoint, tenait soigneusement le registre des entrées des objets acquis, donnés ou légués, assurait leur remise en état s'il y avait lieu, leur bonne présentation et leur entretien. Il réunissait les éléments pouvant servir à une nouvelle édition du catalogue ou du guide quand le besoin s'en ferait sentir.

En 1908, à la suite de la retraite de Lucien Wiéner, l'importance de nos collections nécessite le fractionnement de la conservation en sections. Elles furent d'abord au nombre de quatre.

I. Archéologie préhistorique, gallo-romaine et franque.

II. Monnaies et médailles.

III. Mobilier et objets d'art.

IV. Estampes et sceaux.

Elles sont maintenant au nombre de six, leur dénomination et leur répartition ayant subi des modifications.

I. Archéologie préhistorique, gallo-romaine et franque.

II. Mobilier, objets d'art.

III. Armes et souvenirs militaires.

IV. Art populaire et folklore.

V. Sigillographie et numismatique.

VI. Estampes et documentation.

En 1935, nos statuts durent adopter une rédaction conforme à la loi de 1901. Il en résulta que la Société d'archéologie lorraine et du Musée historique lorrain est administrée par un conseil composé de deux membres de droit, préfet de Meurthe-et-Moselle et maire de Nancy et de vingt-quatre membres élus à l'assemblée générale au scrutin secret pour trois ans avec renouvellement partiel chaque année. Le conseil d'administration désigne chaque année les membres qui formeront le bureau; mais comme il y a plusieurs conservateurs, c'est le président qui est administrateur du Musée. Pratiquement rien n'est changé.

Depuis un demi-siècle que de collaborateurs du Musée disparus ! Le premier dont fut déplorée la perte est Lucien Wiener (1828-1909), le dernier représentant des fondateurs de la Société ; Conservateur adjoint dès 1875, il assuma seul cette charge depuis 1890. Il rédigea deux éditions du Catalogue du Musée, celles de 1887 et de 1895. Nous voyons encore ce beau vieillard venant chaque jour au Palais ducal, y entrant par la porte Masco, gagnant la galerie des Cerfs, traversant la petite salle où se trouve maintenant l'orfèvrerie religieuse et pénétrant dans la minuscule pièce triangulaire, alors pompeusement décorée du nom de cabinet du conservateur. En raison de son grand âge, il prit sa retraite en 1908 : c'est à partir de ce moment que la conservation fut répartie en diverses sections. Affable et érudit, amateur éclairé, il avait, tout en dirigeant une maison réputée de reliure et de papeterie, réuni une collection d'objets d'art : cuirs décorés, ferronnerie, estampes, livres, statues, pièces rares du cérémonial judaïque.

Son fils, René Wiéner (1855-1939), trésorier de notre Société de 1883 à 1899, président de la Société des Amis du Musée lorrain à la mort du maréchal Lyautey en 1935, avait complété, enrichi les collections et la bibliothèque de son père et eut le beau geste de léguer le tout au Musée lorrain.

Lors de la division de la conservation en 1908, la section II (Monnaies et médailles) fut confiée à René Martz (1855-1921). Ce haut magistrat, qui fut premier président de la Cour d'appel, était amateur de beaux livres et possédait un important médailler, ce qui le qualifiait pleinement pour donner ses soins à celui du Musée. En 1913, il se chargea aussi de la Section I. Il laissa au Musée plusieurs pièces de ferronnerie.

Le Comte Jules Beaupré (1859-1923), spécialisé dans l'étude des époques préhistorique, gallo- romaine et franque, fut conservateur de la Section 1 lors de sa fondation en 1908 jusqu'à sa démission en 1913. Dès 1908, il avait fait don au Musée de ses collections, près de 1.300 pièces, toutes d'origine lorraine, bien déterminées et ramassées par lui au cours des innombrables fouilles faites pendant de longues années dont les comptes rendus sont rapportés dans nos publications.

Charles Sadoul (1872-1930) était d'une inlassable activité qu'il partagea entre Nancy, sa ville d'élection, et Raon-l'Étape, sa ville natale. Il rendit d'éminents services aux sciences historiques lorraines, d'abord en qualité de fondateur, de directeur et d'animateur du Pays lorrain et de la Revue lorraine illustrée, puis en rédigeant la Table alphabétique des publications de la Société d'archéologie lorraine de 1849 à 1930. Il avait aussi rédigé celle des Publications de la Société philomatique vosgienne, ainsi que du Pays lorrain. Passionné pour la recherche des traditions populaires et des vestiges de l'art rustique lorrain, puisant dans ses propres collections, il créa, de toutes pièces, la section V (Art populaire lorrain) dont il devint premier conservateur. Les débuts furent modestes, car il dut, au premier abord, utiliser une froide pièce du rez-de-chaussée, gagnée sur les locaux délaissés par l'École primaire supérieure en attendant l'évacuation totale. Il n'eut pas la joie de connaître l'extension du Musée dans cette partie du palais reconstruite après l'incendie de 1871, mais le meilleur hommage rendu à la mémoire d'un excellent collaborateur, d'un bon ami et d'un Lorrain particulièrement dynamique ? comme l'on dit maintenant ? fut l'attribution de son nom à la galerie de la Section d'art populaire lorrain, section remplissant, en raison de son développement magnifique la majeure partie du second et du troisième étages.

En 1908, la section du mobilier et des objets d'art fut remise à Georges Demeufve (1873- 1934). Très qualifié pour ce choix en raison de ses qualités d'artiste délicat et d'amateur d'art il s'ingénia à tirer le meilleur parti de la galerie des Cerfs, alors déjà bien encombrée, aux lourdes vitrines de chêne, teintées en noir. En 1911, quand, en gage de la future extension du Musée dans les bâtiments encore occupés par l'École primaire supérieure, deux pièces distraites du premier étage de cette école furent affectées au Musée, il eut la satisfaction d'y aménager deux salles, l'une réservée aux gloires militaires de la Révolution et de l'Empire, l'autre consacrée à l'histoire de la ville de Nancy, en même temps, il installait la ferronnerie dans la petite pièce prenant jour sur la place Saint-Epvre. Georges Demeufve avait une compétence toute particulière en ce qui touchait les armes anciennes, les étains et la céramique. En 1932, il entreprit dans le Pays lorrain, la publication d'articles sur la Céramique dans la région lorraine. Sa mort en interrompit la suite. L'art rustique lorrain retenait également son attention aussi, au décès de Charles Sadoul, assuma-t-il la conservation de la section créée par ce dernier. S'il eut la joie d'entrevoir l'extension du Musée, s'il en étudiait les plans d'agrandissement jusque sur son lit de douleur, il ne lui fut pas donné celle de contempler la réalisation d'un projet longtemps qualifié de chimérique ni d'y collaborer effectivement car il s'éteignit le 8 juin 1934. La salle XXII, la céramique lorraine, en mémoire de lui, porte son nom.

Paul Laprevotte (1890-1948) amateur de céramique, principalement de Niederviller, et possesseur d'un riche médailler, recueillit, à la mort de R. Martz, la conservation des sections alors numérotées 1 et II. Puis en 1928 il ne conserva plus que celle de sigillographie et numismatique devenue section V. Il légua au Musée d'intéressantes pièces de ses collections, aussi son nom figure-t-il sur la plaque dédiée aux membres bienfaiteurs.

A part les conservateurs, il convient d'évoquer ceux qui prirent une part active à l'administration de la Société, à ses travaux, non seulement à ses séances, mais à ses réunions, désignées familièrement au Palais ducal sous le nom de « parlote », utiles causeries hebdomadaires, qui eurent le grand mérite d'assurer une liaison constante, une cohésion parfaite et une bonne camaraderie entre le comité, le bureau, les conservateurs et les membres les plus zélés de la Société, aussi ses anciens fidèles les ont-ils rénovées. Autrefois, ces réunions amicales se tenaient le dimanche matin de dix heures à midi, dans la salle haute de la Tour de l'Horloge qui abrite, depuis 1875, une partie de la bibliothèque, un petit escalier en vis y donne accès à partir de la galerie des Cerfs, à droite en entrant. Bien entendu, les conservateurs dont les noms viennent d'être cités les fréquentaient, mais aussi la plupart des membres du Comité du Musée, les animateurs de notre société :

  • Raymond des Godins de Souhesmes (1850- 1902), vice-président, brillant conteur, artiste et héraldiste qui légua divers souvenirs au Musée.

  • Le commandant Larguillon (1820-1905), spécialiste dans l'art de l'armurerie ancienne, collectionneur qui légua plus de 200 pièces au Musée.

  • Léopold Quintard (1843-1908), président de 1899 à 1908, numismate, qui égayait par sa bonne humeur les excursions qu'il organisait avec son ami.

  • Henri Lefebvre (1843-1908), auteur de mémoires appréciés sur Manonville et Pierrefort, un des plus assidus aux causeries hebdomadaires.

  • Pierre de Lallemand de Mont (1847-1922), vice-président de 1902 à 1907, fidèle à nos réunions du dimanche.

  • Léon Germain de Maidy (1853-1927), secrétaire perpétuel depuis 1892, qui, par un travail assidu, devint un des érudits les plus féconds de son époque. Sa bibliographie compte plus d'un millier de numéros. La salle III (sculptures des XVE et xvie siècles) a reçu son nom.

  • Justin Favier (1848-1928), conservateur honoraire de la Bibliothèque publique de Nancy, vice-président de 1908 à 1926, grand spécialiste de la bibliographie lorraine.

  • Robert Parisot (1860-1930), élève de Christian Pfister, titulaire de la chaire d'histoire de l'Est à la Faculté des lettres de Nancy, l'historien réputé de la Haute Lorraine et de la Lorraine tout court.

  • Charles Guyot (1845-1930), président de 1888 à 1898, puis président honoraire qui, après une brillante carrière dans l'administration des Eaux et Forêts, devint en 1895 directeur de l'École nationale, dite communément École forestière. C'était un juriste et un spécialiste de la vie rurale. La salle IV (sculptures du XVIE siècle,) porte son nom.

  • Le commandant Thouvenin (1854-1932), trésorier de 1913 à 1929, puis trésorier honoraire.

  • Marcel Maure (1859-1941), secrétaire adjoint de 1902 à son décès, donc pendant 40 ans. Lettré et érudit, d'un commerce très agréable, qui fut un des assistants les plus assidus des causeries dominicales.

  • Émile Duvernoy (1861-1942), digne successeur en 1888 d'Henri Lepage, à la tête du riche dépôt des archives départementales de Meurthe-et- Moselle, qu'il dirigea pendant près de quarante ans. D'une obligeance parfaite dont bénéficiaient tous ceux qui se livraient à des recherches, il contribua grandement à l'histoire de la Lorraine, tant par des répertoires, imprimés ou manuscrits, vrais travaux de bénédictin que par ses nombreuses et savantes publications. En 1926, il avait succédé à Léon Germain de Maidy dans les fonctions de secrétaire perpétuel.

  • Pierre Boyé (1869-1945), esprit fort cultivé, écrivain réputé, historien du roi Stanislas et des divers aspects de son règne, qui fut successivement secrétaire, vice-président, puis président de 1908 à sa démission pour raison de santé, en 1925 et président honoraire. Entre autres charges, il remplit avec tact et distinction celle de secrétaire perpétuel de l'Académie de Stanislas. A son décès, en faible marque de reconnaissance pour sa sage administration et les éminents services rendus par lui, son nom fut affecté à la galerie consacrée à la Lorraine du XVIIe siècle.

  • Paul Chenut (1871-1947), amateur très averti de livres et de gravures, ne manquait jamais - en dehors de la période de la chasse - nos réunions familières du dimanche matin. Il remplit un moment les fonctions de bibliothécaire. Il eut le beau geste de léguer au Musée lorrain la collection unique réunie par Meaume, et considérablement enrichie par lui, des œuvres de Sébastien Leclerc, le fameux graveur messin.

  • L'abbé Eugène Martin (1859-1948), qui fut une figure marquante du clergé lorrain docteur ès lettres, professeur d'histoire, directeur pendant quarante ans de la Semaine religieuse, doyen du chapitre cathédral, honoré de la prélature en 1939, secrétaire perpétuel de l'Académie de Stanislas, il est l'auteur de nombreux travaux d'archéologie sacrée et d'histoire. Son principal ouvrage est l'Histoire des diocèses de Toul, de Nancy et de Saint-Dié.

  • Paul Delaval (1879-1950), trésorier de la Société et du Musée de 1929 à son décès. Comptant au nombre de ses ascendants le Grand Juge Régnier, duc de Massa, il s'intéressait particulièrement à l'époque du Ier Empire.

Assistait aussi à ces réunions du dimanche, M. Lapointe, agent comptable et commis de la bibliothèque de la Société pendant plus de trente ans. Il mourut le 20 décembre 1928. La Société lui doit toute sa reconnaissance pour ses bons et loyaux services.

Dans un espace forcément restreint, nous avons rendu un juste hommage à l'action exercée au bénéfice du Musée par les principaux de nos collègues disparus pendant ces cinquante dernières années. Notre belle œuvre collective, résultant des efforts accumulés en un siècle, continuera à trouver - le présent est gage de l'avenir - des animateurs compétents, dévoués et désintéressés semblables à ceux dont nous venons, avec émotion de rappeler le souvenir.

Edmond DES ROBERT,

Président honoraire de la Société d'archéologie lorraine.

 

E. SALIN, Président de la Société d'Archéologie Lorraine et du Musée historique lorrain.
Revue historique de la Lorraine 1947

Dès la mobilisation, conformément aux décisions prises en vue d'une éventualité qu'il avait, hélas, fallu prévoir, Le nécessaire fut fait pour évacuer vers le Sud-Ouest la a de nos collections, exception faite des statues de pierre, du musée lapidaire gallo-romain et de quelques monuments particulièrement lourds, protégés sur place.

Notre vice-président et conservateur, M. Pierre Marot, réussit, quoique mobilisé, à assurer la mise en caisses de tout ce qu'il avait su présenter si heureusement en 1937. Le concours de MM. Parisot, architecte des Monuments Historiques, Chenut et Noirel, membres de notre Conseil d'Administration et des gardiens du Musée lui fut assurée Bientôt les trésors de la Cathédrale de Nancy et de Saint-Nicolas-de-Port, les vitraux anciens des églises de Toul, de Saint-Nicolas-de-Port, de Blénod, de Vézelise, ainsi que des oeuvres d'intérêt national appartenant à des collectivités : Archives départementales, Musée des Beaux-Arts de Nancy, Musée de Lunéville et à des collections privées vinrent s'ajouter à nos propres collections. Un ensemble de plus de 500 caisses fut ainsi constitué et dès septembre 1939, un premier train emmenait au loin une partie des témoins de notre passé provincial. En mai 1940, alors que déjà, la bataille faisait rage à nos frontières, un second convoi quittait Nancy à son tour. Accompagné par M. Lemoine, professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Nancy, i1 arrivait sain et sauf, lui aussi, dans la France du Sud- Ouest: plusieurs châteaux (1) accueillirent un patrimoine précieux qui y demeura sous la garde attentive de l'Administration des Musées nationaux.

Cependant, l'ennemi foule notre sol, il occupe Nancy ; ses représentants viennent frapper à la porte du Palais Ducal ; MM. Delaval et Noirel les reçoivent avec calne et froideur.

Professeurs et docteurs en uniforme gris n'insistent guère ; ils respecteront, durant l'occupation, ce qui, dans l'enceinte de nos vieux murs, doit être respecté, et leurs soldats n'y séjourneront pas. Mais ils notent, ils photographient à Nancy et dans la région tout ce qui est de nature à intéresser la science allemande.

Cependant, le Palais ducal rentre dans le silence; il espère et il attend. Mais voici que les événements de juin 1944 cristallisent nos espoirs: en septembre, Nancy est délivrée par l'armée du général Patton : le Palais ducal est intact; là-bas dans le Sud-Ouest, nos collections le sont aussi ; le patrimoine traditionnel est sauf ; la vie peut reprendre au Musée lorrain ! Il nous faudra, pourtant, attendre ces jours de novembre 1945 (2) et de janvier-février 1946 (3) où, sous l'âpre bise d'hiver, deux convois - rameneront les dieux lares qui, cinq ans plus tôt, l'ont quitté.

Les voici ; ils sont là ; les vers du poète chantent dans nos mémoires : Effigies sacrae Deum Phrygiique penates...

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres : dans le Palais glacé, aux murs nus, aux vitrines vides, il n'y a, pour l'instant, qu'un entassement de centaines de caisses où reposent, enchevêtrés, d'innombrables objets dont il faudra, un à un, retrouver la place. Et nos moyens matériels se limitent aux bras et au dévouement de nos deux gardiens. Qu'importe ; l'effort suppléra ; car un homme est là, prêt à se donner sans réserve ; j'ai nommé M. Pierre Marot ; il trouvera auprès des Services municipaux d'architecture, de MM. Senault et Parisot, en particulier, des concours precieux.

Le premier août 1946, l'essentiel de l'oeuvre est accompli ; au cours d'une sorte de fête de famille, notre Conseil d'administration accueille au Palais ducal, le Maire de la Nancy ; le Musée lorrain sera ouvert au public à l'issue de la réunion. Je souhaite la bienvenue à M. Sirguey ; sa réponse, qui rappelle des souvenirs d'enfance, témoigne de tout ce que savent évoquer de vieux murs chargés d'histoire; baigné dans cette atmosphère, l'enfant découvre confusément un peu de l'âme lorraine.

Sous la conduite de M. Marot, la visite commence; chaque oeuvre a retrouvé sa place familière ; du haut des tapisseries de la suite d'Esther, la reine Vasthi contemple le lit d'apparat du duc Antoine ; dans la Galerie des Cerfs, pleine des témoins de cinq siècles d'histoire, les tapisseries de la « Condamnation de Banquet » châtoient aux murailles tandis que resplendissent les ailes de feu de l'ange de Jacques de Bellange. Aux ors adoucis des orfèvreries succède l'éclat des céramiques, cependant que l'habileté prestigieuse de Callot voisine avec l'étrange lumière, due au pinceau de Georges de la Tour, qui baigne le corps de Saint-Alexis.

Mais une foule d'oeuvres, bois, cuirs, meubles, ferronneries, gravures, objets du culte juif, pour lesquelles il fallut créer des salles nouvelles sont venues rejoindre, ici, leurs devancières ; et notre pieuse reconnaissance évoque le souvenir de ces Lorrains fidèles et généreux qui, de René Wiener et de Mme Georges Drouet à MM. de Scitivaux, Voirin, Virely, Corbin, nous ont, au cours d'années d'épreuves, comblés de leurs dons.

Maintenant, le Musée lorrain est ouvert et les visiteurs affluent ; d'août à octobre : ils seront 9.770, auxquels il faut ajouter de nombreux groupes scolaires ou de mouvements de Jeunesse.

Voici venir la rentrée ; le 8 octobre. les représentants de toutes les familles spirituelles de notre province, se retrouvent au Palais ducal. M. Marot les conduit de salle en salle jusqu'à ces séries du folklore, dont il vient de terminer la présentation et où il sut enclore tout le parfum de notre terroir; M. Blache, préfet de Meurthe-et-Moselle, qui collabora à leur réalisation en tant qu'universitaire, est au milieu de nous ; il n'a cessé de nous aider de tout son pouvoir; je lui en exprime notre vive reconnaissance.

L'hiver approche; il sera mis à profit par M. Marot pour parachever les salles du folklore, qui occupent le troisième étage tout entier et pour créer la salle Guilbert de Pixérécourt que peuplent les meubles et les souvenirs de ce dramaturge lorrain, un moment célèbre au siècle dernier. En même temps, M. A. France-Lanord, conservateur de la préhistoire, crée au second étage, une nouvelle salle pour sa section. Grâce à l'aboutissement des recherches de laboratoire, commencées il y a longtemps, que j'ai poussées depuis 1942, avec son concours, la remise en état, la conservation, l'analyse des objets de fouilles les plus précieux ou les plus fragiles sont maintenant possibles. Un ensemble, actuellement unique, est constitué car à côté des parures protohistoriques et des statuettes romaines, les damasquineries mérovingiennes, mises en atmosphère neutre, voisinent avec des épées damassées et avec les préparations qui expliquent les techniques subtiles des artisans du temps des Grandes Invasions. Après l’achèvement de cette salle, les divers aspects du passé sont maintenant tous évoqués au Musée lorrain ; leur présentation est conforme aux exigences de la muséographie contemporaine.

Le 4 mai 1947, c'est la France elle-même qui délègue vers nous, pour présider à la consécration de l'oeuvre accomplie, les principaux chefs de ses Musées : M. Georges Salles, directeur des Musées de France, accompagné de trois membres de l'Institut. MM. Marcel Aubert, directeur de la Société Française d'Archéologie, Paul Deschamps, conservateur du Musée des Monuments Français, Raymond Lantier, conservateur du Musée des Antiquités nationales et des deux inspecteurs principaux des Musées de province, MM. Tribout et Gaudron. M. Samama, préfet de Meurthe-et-Moselle et Sirguey, Maire de Nancy, sont présents ; l'élite de l'université et de la magistrature, du monde des lettres et des arts leur fait cortège.

Dans son discours, M. Georges Salles exalte la valeur éducative des Musées qui doivent être accessibles à tous, aux plus humbles comme aux plus érudits : c'est là précisément, l'une des tâches essentielles que nous nous sommes assignées.
Cependant, profitant de ce que les vitraux des églises de Toul et de Vézelise sont encore déposés au Palais ducal, une exposition du vitrail du XIIIe au XVIe siècle est organisée; elle sera inaugurée le 19 juin par M. Jean Verrier, inspecteur général des Monuments historiques, spécialiste du vitrail. Elle permettra d'étudier de tout près d'admirables ouvrages qui se perdent d'ordinaire dans le lointain des verrières.

En terminant, j'ai le devoir d'exprimer notre reconnaissance à la ville de Nancy et au département de Meurthe-et-Moselle dont les représentants n'ont cessé de nous accorder une aide sans laquelle il n'eut pas été possible d'aboutir. Oserai-je ajouter qu'en ces temps où l'indifférence et la crainte de l'effort sont trop souvent la règle, l'oeuvre accomplie par M. Marot est un exemple et une leçon. La Lorraine lui doit la résurrection de ce magnifique ensemble. C'est qu'à l'intelligence et à l'érudition il a joint la Flamme et la Foi ; ce sont elles qui lui ont permis d'aboutir. Par elles il est le frère de ces habitants d'Ogéviller, auxquels il ne restait, au lendemain de la guerre de Trente Ans, que quatre journées de terres labourables et qui s'attelant eux-mêmes à la charrue, faute de chevaux, proclamaient fièrement peu d'années après, que, sur tout leur territoire, il ne restait que quatre journées de terres en friche.

Puisse, maintenant, le Musée lorrain continuer longtemps sa tâche : rappeler à nos concitoyens qu'ils sont issus d'une très ancienne lignée d'hommes qui, à travers toutes les vicissitudes inhérentes à la condition d'homme, ont eu la soif du Bien et du Beau; leur révéler les trésors d'art et d'ingéniosité dont ont fait preuve leurs devanciers ; contribuer à leur donner le sentiment que le long effort humain dont ils sont les héritiers, leur crée des devoirs, parce que « noblesse oblige » ; les aider à comprendre le sens de la vie en général et l'aspect particulier qu'il prend sous le ciel de Lorraine; en un mot, les inviter à « Servir ».

(1) Le convoi de 1939 fut dirigé sur les châteaux de la Brède (où vécut Montesquieu) et du Bouilh à Saint-André de Cubzac en Gironde; celui de 1940 sur le château de Vayres (Gironde). 1943, les dépôts de la Brède, de Vayres, et une partie de ce du Bouilh furent transférés à la Bourgonie (Dordogne). Puis, se dépôt de la Bourgonie fut réparti entre les châteaux de Bourdeilles, en Dordogne, où vécut Brantôme, et de Cieurac (Lot), tandis que ce qui restait encore au Bouilh était dirigé également sur Cieurac.
(2) Évacuation du dépôt de Cieurac. 
(3) Évacuation du dépôt de Bourdeilles. Les difficultés de l'heure purent être résolues grâce au concours de M, Schommer, conservateur des Musées Nationaux, adjoint au directeur des Musées de France.

E. SALIN, Président de la Société d'Archéologie Lorraine et du Musée historique lorrain.
Revue historique de la Lorraine 1947

1945 - 1998 : LE MUSÉE ESSAIME 

Evacuées en Gironde pendant la guerre, les collections sont réinstallées dans le palais ducal au lendemain du conflit en respectant l’esprit des présentations réalisées par Pierre Marot. La création d’une salle juive et l’évocation des guerres du XIXe siècle font partie des nouveaux aménagements réalisés pour accueillir les donations venues enrichir le musée. 

La période de l’après-guerre est dominée par la personnalité d’Edouard Salin, spécialiste de l’Epoque mérovingienne et Président de la Société d’archéologie de 1945 à 1969. Epaulé par Albert France-Lanord, Edouard Salin met sur pied, à partir de 1949, un laboratoire de restauration des métaux installé dans les anciennes écuries du palais ducal, préfigurant ainsi le Laboratoire d’archéologie des métaux à Jarville. 

Cette époque est également marquée par des legs importants venant compléter les collections du musée dans les domaines de l’archéologie, des arts décoratifs, et de la peinture. Georges Goury (1955), Eugène Corbin (1956), Henri Marcus (1966), René Cadet (1966), Edouard et Suzanne Salin (1975) font partie des donateurs « insignes » dont les collections, par leur diversité et leur rareté, ont amplement contribué au rayonnement du musée. 

Henri Marcus (1888-1960) 

Parmi les donateurs « insignes », Henri Marcus tient une place particulière. Avoué à Nancy, il a consacré une partie de sa vie à constituer une collection d’œuvres d’art, de pièces curieuses ou caractéristiques dans des domaines très divers : sculpture romane, peinture lorraine, céramique… De son vivant, Henri Marcus fait part de sa volonté d’enrichir le musée en fonction des manques dans les collections. C’est ainsi que le « Banquet des Amazones » de Déruet, une série de plats et d’assiettes des Islettes, purent venir compléter les collections du musée. Après sa mort, sa veuve poursuivit la donation. 


Le patrimoine pour tous 

Le musée Lorrain est, durant les années qui suivent immédiatement la guerre, un lieu privilégié de diffusion pour un public de plus en plus nombreux à s’intéresser au patrimoine sous ses aspects les plus divers. En 1964, le service de l’Inventaire chargé de recenser les richesses artistiques de la France s’installe dans le palais ducal avant de rejoindre l’hôtel Ferraris, rue du Haut Bougeois. La création d’un service éducatif pour les musées de Nancy, en 1962, s’inscrit dans cette volonté de faire partager au plus grand nombre cette passion pour la région et son histoire. 

Les Arts et Traditions Populaires : 
mémoire de la Lorraine rurale 

Dès 1940, les collections d’ethnographie du musée font l’objet de nouvelles présentations, plus vivantes, tirant partie des idées nouvelles développées par Georges-Henri Rivière au Musée national des arts et traditions populaires au Trocadéro. Le troisième étage du musée est réaménagé à cette occasion. 

Conservateur du musée à partir de 1950, l’abbé Jacques Choux consacre une partie de son temps à valoriser les sociétés rurales au moment où elles connaissent une des plus importantes mutations de leur histoire. L’aménagement en 1981 d’une section des arts et traditions populaires dans l’ancien couvent des Cordeliers est l’aboutissement de l’énergie déployée par l’abbé Choux pour évoquer toutes les facettes des campagnes lorraines des XVIIIe et XIXe siècles. Les enquêtes réalisées sur le terrain permettent, pour la première fois, d’évoquer l’organisation traditionnelle du village Lorrain et de son terroir. Les collectes trouvent leur place dans les reconstitutions d’intérieurs et les présentations thématiques soulignant la richesse et les traits spécifiques des terroirs lorrains. 

LE MUSÉE LORRAIN, MÉMOIRE D’HIER ET DE DEMAIN 

Le XXe siècle lorrain est actuellement très peu représenté dans les collections du musée. Certaines pièces, essentiellement des prêts, tracent quelques voies d’enrichissements possibles des collections ou encore évoquent des thèmes qui devraient être développés dans les futures présentations. 

Extraits de l'exposition organisée en 1998 "150 ans pour faire l'histoire"
Numéro spécial du Pays lorrain.